Sentiment d’être en minorité visible au Cameroun

Maintenant je comprends comment les immigrant.e.s se sentent lorsqu’ils arrivent dans leur pays d’accueil. Les regards qui déshabillent, les interpellations, les pointages du doigt et les rires moqueurs. C’est comme si j’étais un animal exotique dans un zoo, pourtant rien ne nous diffère, je suis Canadienne et toi Camerounais.e, nous sommes tous des êtres humains, mais ce n’est pas tout le monde qui a la même définition de l’ethnicité, plusieurs font la distinction qu’à partir de la couleur de peau, c’est noir ou blanc.

Première fois que j’étais mise en situation de minorité. Une minorité qui, ma foi, est très visible et honnêtement, ça n’a pas toujours été évident. Lors des formations pré-départ, nous avions été avertis que les Camerounais aiment charmer, séduire, taquiner les femmes, mais ces qualificatifs sont amplifiés lorsque l’on parle de femme blanche. Seulement marcher dans la rue suscitent des réactions et des interpellations du type: « Hey la Blanche, viens me voir ! » donc, imaginez-vous alors que l’on sortait au bar… Comment sommes-nous supposés réagir face à du harcèlement de rue ? S’en faire parler lors d’une formation pré-départ et le vivre sur le terrain sont deux choses différentes, puisque tu ne sais jamais comment tu vas réagir dans le vif de l’action. Après coup, selon moi, la clé du succès, c’est d’en rire et de ne surtout pas le prendre personnel. À plusieurs reprises, c’est nous-même qui nous qualifions de blanc.he.s et nous imitions les Camerounais(e)s en disant: « Hey la Blanche ! » avec leur accent, juste en blague entre nous. Le fait de caricaturer certaines scènes qui étaient sur le coup déplaisantes nous faisaient tous du bien.

Petite anecdote cocasse – cocasse après coup – parce que sur le fait je ne la trouvais pas cocasse du tout: dernière soirée au Cameroun, soirée au bar avec les autres stagiaires, les frères et les soeurs de famille et certains apprenants. Après un séjour de 10 semaines, tu te dis que tu as tout vu, tout entendu et rien ne peut plus te surprendre, mais pourtant… Je me rends aux toilettes – je tiens à spécifier qu’elles sont unisexes – j’entre, je me dirige vers les cabinets sans attirer l’attention puisqu’il a deux hommes aux urinoires. Rendu dans le cabinet, j’entends un des deux garçons dire: « Hey, je vais filmer la blanche aller à la toilette ! » Je peux vous dire que je suis vite sortie. Quelqu’un peut m’expliquer l’intérêt de faire ça ? Filmer la blanche faire pipi!

Pourquoi tant d’emballement face à la différence ? Les blanc.he.s ne courent pas les rues au Cameroun. Lorsque les Camerounais en aperçoivent, leur première réaction est de trouver une façon d’attirer leur attention, ce qui se concrétise souvent par des interpellations, des demandes en mariage, des réactions qui sont souvent maladroites, mais sans arrière-pensées. Crier: « Hey la Blanche! » lorsque tu marches dans la rue, ce n’est pas quelque chose d’insultant ou de dégradant, mais bien une interpellation que je traduirais comme: « Hey Alex! » Le terme la blanche, c’est notre prénom, notre étiquette, qu’on le veuille ou non. Par contre, je ne peux pas nier que les Camerounais.e.s ont une admiration et une curiosité à venir nous parler et à apprendre à nous connaître.

Dans une situation où le choc culturel est grand, tu vis une déstabilisation complète de tes repères ; l’accent, l’environnement qui t’entourent, les références culturelles, les relations interpersonnelles, qu’elles soient familiales, amicales ou professionnelles sont complètement différentes. Une fois mon environnement bouleversé, c’est à ce moment que j’ai compris et que j’ai ressenti la notion du sentiment d’appartenance. Un sentiment d’appartenance qui était basé sur le critère de la couleur de peau. Le premier blanc étranger que j’ai vu, je n’ai pas pu m’empêcher d’aller à sa rencontre et de lui parler, seulement à cause de la reconnaissance raciale. Simplement le fait de me dire: « Il y a d’autres blanc.he.s que nous ici! » me rassurait et inconsciemment, un sentiment de sécurité m’envahissait. Par contre, ce qu’il y a de drôle dans tout ça: le premier blanc que j’ai vu était allemand. Il ne parlait pas français. Un peu anglais, mais majoritairement allemand, et la seule chose que je sais dire en allemand c’est : « ich liebe dich » (je t’aime), est-ce que c’est vraiment ça que tu veux lui dire ?

Non pas vraiment, ahah. J’étais heureuse de le voir, mais pas à ce point!

AlexSandra Fournier