Manger d’un village à l’autre!

Avez-vous déjà ressenti l’impression d’être chez soi ailleurs? L’Afrique centrale, comme la logique de l’Histoire le veut, est l’un des berceaux ancestraux de la majorité des Haïtiens à travers le globe. Renier ou ignorer ce fait est une maladresse que je souhaiterais relativiser dans ce bref article et pour ce faire… passons à table!

Manger à Yaoundé, la capitale politique du Cameroun est une expérience gastronomique peu diversifiée, mais mémorable pour la Montréalo-Haïtienne que je suis. Effectivement, il est difficile de se sentir dépaysée lorsque l’on vous sert un plat de poulet grillé en sauce avec du riz blanc et un accompagnement de plantain mûr frit. Les Canado-haïtiens savent de quoi je parle! Vraiment, c’est un réconfort pour les yeux et les papilles gustatives de se promener dans les rues de Yaoundé et de goûter à ces quelques mets qui ont traversé l’océan Atlantique.

Le premier met que je souhaiterais vous présenter est le beignet koki qui est à distinguer du gâteau koki. Bien qu’il ne soit pas préparé à partir des mêmes ingrédients en Haïti, le beignet koki présente une similitude marquée avec les beignets marinades. Ces derniers sont fait à base de farine, d’oeufs et d’eau. Au Cameroun, le beignet koki est fait à partir de haricots blancs réduits en purée, assaisonnés au goût, frits pendant quelques secondes et servis chaud. Durant le stage, sur l’heure du déjeuner au Rond-Point express de Biyem-Assi, nous nous dirigions souvent au kiosque d’une maman (dont je ne me rappelle malheureusement plus le nom) pour nous gaver de beignets koki. Ce choix simple était un parfait succédané à la frite ou au sac de croustilles. Et quand on parle de prix abordable, le cornet ne nous coûtait que 500 francs CFA, ce qui équivaut à un peu plus de 1$ pour une portion de 4 beignets. Les koki sont une option alléchante comme entrée servie avec une salade fraîche et vous pourrez retrouver la recette sur le site du projet AU Cameroun.

Le deuxième met se nomme djamadjama ou légume. Cet accompagnement est un vrai remède pour les femmes d’ascendance africaine parce qu’il est composé principalement de feuilles vertes qui contiennent beaucoup de fer. Je rappelle que les femmes africaines commes les femmes antillaises sont à risque de développer de l’anémie si elle ne consomment pas suffisamment de fer. Certaines ont sûrement en tête les nombreux avertissements de nos mères qui nous recommandaient incessamment de manger du cresson, des épinards ou du légum’ pour avoir du sang! Si l’apport en sel et en huile varie selon les préférences, le djamadjama est un accompagnement sain et nutritif qui saura agrémenter vos plats de poisson à chair blanche ou de haricots mijotés accompagnés de plantains mûrs rôtis.

Ah, le plantain! C’est le troisième aliment sur la liste! Ce fruit est une métaphore populaire qui désigne l’organe reproducteur mâle des Camerounais en opposition à la pistache pour celui des femmes. Le plantain s’avoue être un fruit passe-partout que l’on peut apprêter de nombreuses façons. Qu’il soit mûr ou vert, on peut le bouillir, le frire, le ”taper” (pour les Haïtiens, le peser ; pour les Québécois, l’aplatir), le réduire en purée ou en croustilles. Toutefois, d’après ce que j’ai pu comprendre, la réconfortante bouillie ou crème de banane créole ne fait pas partie de la gastronomie camerounaise. Il faudrait sans doute une invasion d’Haïtiens à Yaoundé ou à Douala pour que cela se produise, mais bon! de manière générale le plantain accompagne bien souvent le poulet en sauce, le cassoulet, le gâteau koki ou la sauce aux arachides.
Suit le manioc. Un tubercule aussi connu sous le nom de yucca. Il est consommé en Amérique centrale et en Amérique du Sud, et je dois admettre que lorsqu’il est bien apprêté, la pomme de terre a de quoi envier son cousin ;). Ma découverte de l’été a été les bâtonnets de maniocs fermentés enroulés dans une feuille de plantain. Il faut cependant faire les bons choix pour la fraîcheur du bâton, car ma première bouchée n’était pas si agréable. Heureusement, lorsqu’ils sont frais, ces bâtonnets se mangent comme des jujubes non sucrés qui accompagnent formidablement le poisson braisé tel le bar. Vous aurez remarqué que l’on mange souvent le poisson au Cameroun ou du moins dans la région du Centre. Chez les Haïtiens, le manioc est habituellement mangé bouilli, frit ou transformé en cassave, une sorte de biscuit sec. Cette nouvelle technique culinaire qui consiste à fermenter le manioc ajoute des possibilités de collations véritablement saines et une alternative au fromage pour les véganes dans l’âme!

Ne pouvant présenter tous les mets existants au Cameroun faute de temps et de connaissances, je terminerai avec les desserts. Sur ce point, on peut dire que Dame Nature ne chôme pas et que sa générosité est bonne. Effectivement, les fruits ici occupent une place importante que ce soit pour recevoir la visite, pour prendre le petit déjeuner ou pour clore un repas. Des habitudes qui me semblent un peu plus rares chez les familles haïtiennes du Québec que j’ai côtoyées, y compris la mienne. Pourtant, quand mes parents me parlent de leur enfance en Haïti, les mots corossol, mangue, goyave, cocoyer, orange, ananas, chadèque, fruit de la passion, avocat ou banane sont au répertoire du souvenir des temps heureux.

Mon séjour à Yaoundé m’a permis de vivre quelques semaines ce que mes parents ont vécu en Haïti avant leur arrivée au Québec, car le fait de manger des fruits au Cameroun n’est pas que fonctionnel. Je veux dire par là que ce n’est pas qu’un moyen d’atteindre sa portion de fruits recommandé par le Guide alimentaire canadien, comme si manger des fruits était une obligation, mais c’est aussi une culture. En fait, quand on vit dans un climat tropical, manger un fruit est une expérience en respect et en harmonie avec la nature où l’on voit l’arbre fruitier grandir, où l’on grimpe dans l’arbre pour se nourrir une fois le fruit mûr, où l’on vole parfois les fruit du voisins avec un coeur d’enfant vivant, où l’on partage les fruits de son labeur avec sa communauté, où l’on vend son fruit pour survivre. Je pense que c’est une bénédiction d’avoir accès à des aliments frais, naturels (j’entends par là sans OGM ou hormones de tout genre) et à portée de main tout au long de l’année parce que cela réduit indéniablement les risques de diabète de type 2 causé par l’ingestion de produits transformés et ayant une haute teneur en faux sucre. Bref, après ce temps passé au Cameroun, je compte désormais me réapproprier les fruits et en faire des desserts de choix pour démontrer ma gratitude envers la nature et la terre.

En conclusion, je nous invite à nous rappeler que l’agriculture d’autosuffisance, équitable et en accord avec les principes naturels de la vie est menacée par une économie de marché qui met en pratique un capitalisme destructeur et sans vergogne. Ce type de capitalisme ne vise qu’à s’accaparer des terres, des ressources naturelles et vivantes, dont les humains, pour réduire à néant de nombreuses communautés sur Terre. C’est à croire que Mammon a su trouver des fidèles hors du commun pour lui rendre service!

Pourquoi pensez-vous que l’agriculture urbaine prend autant d’ampleur? Les villes sont des centres névralgiques des économies de marché où l’argent est une énergie omniprésente qui dicte considérablement nos relations interpersonnelles et qui détruit nos rapports harmonieux avec la terre. L’exode rural est une décevante ruée vers l’Ouest pour plusieurs migrants autour du monde. Beaucoup de jeunes fuient les campagnes pour développer un supposé plein potentiel et vivre les promesses d’une vie meilleure. Well…isn’t it the American Dream! Résultat! On doit vivifier les métropoles puisque les révolutions industrielles ont échoué au plan social et environnemental.

Par conséquent, faire de l’agriculture urbaine c’est remédier aux limites désastreuses du capitalisme. Lutter pour la justice sociale, c’est poser des gestes pour affaiblir les liens et racines d’un système qui nous aliène et qui dénigre les systèmes de connaissances ancestrales des pays du Sud et la dignité humaine. C’est mettre au coeur de nos préoccupations le bien-être de tout ce qui est vivant autour de nous. C’est nourrir sainement nos peuples en semant le respect, la reconnaissance d’égalité morale de tous les être vivants, la solidarité locale et internationale, l’inclusion radicale et l’amour.Sur ce, je remercie le peuple camerounais et la nature camerounaise pour leurs accueils et je prend la décision de joindre le cercle des véganes dès le 1er janvier 2018 pour soutenir la solidarité locale et internationale. Quel geste poserez-vous pour soutenir la solidarité locale et internationale?