Le colonialisme est toujours présent sur le continent

Le Cameroun, comme la majorité des États africains, est un pays considéré comme étant en développement. Pourtant, ce pays est riche en matières premières comme le pétrole, le caoutchouc, de nombreux minéraux, certains bois rares et la fève de cacao.

En fait, il faut prendre en considération que le continent africain abrite 40 % des réserves mondiales de chrome et 78 % des réserves de diamants (Ighobor 2014), qu’il est le plus grand producteur de cacao au monde (FAO 2010) et que plusieurs de ses pays contiennent beaucoup d’hydrocarbure (Ighobor 2014). Pourtant, 65 % de la population de l’Afrique subsaharienne vit avec moins de 3,10 dollars américains par jour et cette vaste région possède le plus faible indice de développement humain (Perspective Monde; Banque mondiale 2011). Le paradoxe entre cette richesse en ressources économiques et ce faible développement de la majorité des États du continent africain, comparativement aux pays occidentaux, amène la question suivante: « Comment expliquer que la majorité des États africains restent peu développés, malgré leurs richesses en ressources économiques ? ».

Plusieurs intellectuels libéraux ont tenté de répondre à cette question en exposant des facteurs et des théories variés. On peut citer la théorie de la modernisation qui a influencé plusieurs recherches sur le sujet (Gazibo et Jenson 2004). Ayant une optique développementaliste, cette théorie voit le développement comme un chemin linéaire suivi par chaque État et qui se terminerait par l’ère de la consommation de masse à l‘occidentale (Gazibo et Jenson 2004). Dans le même ordre d’idées, d’autres ont étudié les facteurs du système politique et économique et établissent qu’une transition vers la démocratie et l’économie libérale est nécessaire au développement des États (Gazibo et Jenson 2004). Contrairement à ces chercheurs libéraux qui analysent le faible développement de l’Afrique comme étant un manque de modernité (ou une dissemblance à l’Occident), ce texte analysera la question du faible développement des États africains selon une perspective dépendantiste (néo-marxiste) de l’économie mondiale.

La dépendance des pays africains sur le marché mondiale est un facteur explicatif intéressant puisqu’il permet d’analyser leur faible développement comme étant le résultat des relations économiques inégales entre les États dits développés et moins développés (Gunder Frank 1968). Il s’agira donc d’exposer pourquoi la majorité des États africains ont un faible développement malgré leurs richesses grâce à une comparaison des systèmes économiques basés sur le principe de domination.

D’abord, selon la perspective dépendantiste, le faible développement des pays africains n’est pas un état naturel ou une étape que toutes les sociétés doivent traversées pour atteindre le stade de pays développé (Gunder Frank 1968 ; Cliche 2014). Les dépendantistes voient surtout le faible développement comme le résultat de la domination de ces pays dans le rapport économique mondial (Deubel 2008, 480). Ainsi, le développement des pays riches passe par le sous-développement des pays pauvres (Deubel 2008, 480). La vision des dépendantistes est donc à l’opposé du discours dominant qui inscrit l’adhésion au marché et la croissance économique comme étant les fondements du concept de développement que devraient suivre tous les pays. (Cliche 2014). Le choix d’établir la comparaison sous des critères provenant de la théorie de la dépendance est donc justifiable par une intention de sortir d’une approche moderniste et ethnocentrique souvent utilisée pour analyser le faible développement en Afrique (Touré 2013, 16). De plus, cet angle d’analyse permet de comprendre le faible développement des États africains comme étant un phénomène résultant de l’intégration de ces États dans un système économique exogène et non comme étant un «  retard chronologique » du développement (Hugon 1974, 422-423)

D’ailleurs, cette analyse permet de comprendre la domination des États africains au niveau des échanges internationaux. Ainsi, malgré des contextes sensiblement différents pour chaque pays, l’analyse de la position de dépendance permet d’expliquer pourquoi les richesses économiques des pays africains contribuent peu à leur développement (Gazibo et Jenson 2004, 252). Le concept de « centre » (pays développé) et de « périphérie » (pays peu développé) permet de caractériser comment se développe cette dépendance des pays africains (Touré 2013, 16-17). En effet, l’économie mondiale capitaliste est définie comme ayant un centre représentant les États bourgeois maîtrisant le processus d’accumulation ainsi que les périphéries qui sont dominées politiquement et économiquement par le centre (Saunier 2000 ; Amin 2002). Les pays africains sont définis par Samir Amin comme faisant partie de la périphérie, puisque la majorité de leurs activités économiques est caractérisée par l’exploitation de matières premières et de leur exportation vers le centre, faute de « structure industrielle » ayant la capacité de transformer ces matières (Amin 1973, 214). Ainsi, le concept de périphérie permet d’établir des similitudes partagées par de nombreux États africains, comme la dépendance à l’exportation de matières premières (Nkurunziza 2015). En fait, 45 des 54 pays africains sont dépendants de l’exportation de pétrole, de café, de produits miniers, etc. C’est-à-dire que 60% de l’économie de ces pays repose sur ce type exportation (Nkurunziza 2015). Il s’agit là d’un déterminant commun expliqué par les dépendantistes par les concepts de « division internationale du travail » ainsi que de « l’échange inégal » qui caractérisent les relations économiques entre le centre et la périphérie (Touré 2013, 16-17).

La domination des pays africains intégrés à un système capitaliste a contribué à leur faible développement (Deubel 2008, 480). Cette domination est expliquée par plusieurs facteurs clés. D’abord, on peut exposer la dépendance économique des pays périphériques (États africains) à l’exploitation de ressources naturelles comme étant une continuation de la « structure coloniale » (Deubel 2008, 480). Le processus actuel ne serait que l’héritage d’un processus centenaire visant le développement des pays du centre par la domination des rapports économiques avec les périphéries (Deubel 2008, 480). Ce modèle économique dessiné par les pays colonisateurs leur assure que l’Afrique reste une source constante d’approvisionnement en matières premières destinées aux industries des pays occidentaux (Banque africaine de développement 2015). En effet, cette domination a imposé une division internationale du travail confinant les pays africains comme exportateurs de matières premières au profit des consommateurs du centre (Amin 2002 ; Deubel 2008). L’économie de la majorité des États africains est donc tournée vers l’exportation de matières premières et plus particulièrement vers une dépendance à l’exportation de quelques matières précises, ce qui les rend très vulnérables au prix sur le marché mondial (Nkurunziza 2015). On peut prendre l’exemple d’un pays comme l’Algérie dont 80% des exportations sont reliées au produit pétrolier (Banque Africaine de développement 2015). La Côte d’Ivoire représente aussi un exemple probant, car 60% des terres agricoles du pays sont accaparées par les cultures industrielles du café et du cacao (FAO 2009). D’ailleurs, ces deux cultures représentent 40% des revenues d’exportation du pays (FAO 2009), ce qui constitue un bon exemple de la division internationale du travail qui impose aux pays périphériques une spécialisation vers quelques activités capitalistes restreintes (Amin 1973). Cette restriction fait en sorte que malgré l’abondance de richesses économiques,  « l’économie périphérique, reste périphérique, c’est-à-dire fondée essentiellement sur le marché extérieur » (Amin 1973).

Cette forte dépendance économique des pays africains à l’exportation de matières premières vers le centre est en fait une double dépendance (Banque Africaine de Développement, 2015). En effet, cette division internationale du travail imposée par une intégration au marché capitaliste rend les États africains dépendant à l’importation de biens manufacturés venant du centre (Touré 2013, 16-17). Par exemple, les importations de biens manufacturés représentent près de 76 % des importations totales du Gabon (Perspectives Monde). Selon la Banque Africaine de développement, cette dépendance à l’importation de produits transformés est surtout expliquée par la faiblesse du secteur secondaire. Tout comme le théoricien dépendantiste Raul Prebisch, la BAD entrevoit la sortie de la dépendance des pays africains par un développement des industries de transformation des matières premières. L’économiste Nkurunziza explique que ce genre de développement permettra de générer davantage de plus-value et sera un remède contre le chômage et la précarité (Banque Africaine de développement 2015). Ainsi, une émergence du secteur secondaire dans la périphérie est nécessaire pour réduire les déséquilibres et les inégalités internes créés par cette dépendance (Rollinat 2005).

De plus, pour Amin, la domination des États africains vient de l’incapacité qu’ont ces États périphériques d’autofinancer leur développement économique. La plupart de ces États restent donc dépendants des investissements étrangers et de l’aide extérieur. Suivant ce raisonnement, Amin indique que l’afflux de capitaux étrangers amène nécessairement un reflux des profits vers le centre ce qui réduit fortement la croissance des périphéries (Amin 1973, 215). Ce phénomène conduit les États africains à être dépendant des capitaux étrangers et devient forcément des « pays emprunteurs » (Amine 1973, 217). Les fournisseurs de fonds viennent donc à avoir le contrôle sur l’orientation et le type de développement de la périphérie, ce qui accentue fortement la domination économique de l’Afrique (Amin 1973, 215).

Comment expliquer le faible développement de la majorité des États africains malgré leur richesse en ressources économiques ? Le constat de cette analyse sous l’angle néo-marxiste de l’économie mondiale est que les États ne peuvent garantir leur croissance grâce à leurs ressources, car ils sont dominés par une structure économique « assurant le transfert des richesses du Sud vers les pays du Nord » (Deubel 2008, 480). Les pays périphériques sont ainsi maintenus dans une position d’exportateurs de matières premières incapables d’autofinancer leur développement économique (Amin 1973, 2002). Ceci augmente davantage leur dépendance vis-à-vis le centre qui contrôle désormais le développement de ces États sans se soucier d’un véritable développement (Cliche 2014, 37).

Alexis Demers

 

 

Bibliographie

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Cliche, Paul 2014. La coopération internationale solidaire : plus pertinente que jamais. Québec : Presses de l’Université du Québec (PUQ).

Deubel, Phillipe, dir. 2008. Analyse économique et historique des sociétés contemporaines. Paris : Pearson éducation.

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Frank, Andre-Gunder. 1968. « Le développement du sous-développement». Cahiers

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Rollinat, Robert. 2005. « Analyse du développement et théories de la dépendance en Amérique Latine. L’actualité d’un débat » Cadernos Prolam/USP 4. (Vol 1) p.97-118

Saunier, Georges 2000, « Quelques réflexions sur le concept de Centre et Périphérie », Hypothèses 1(3), p. 175-180.

Touré, Fodé Saliou. 2013. La cooperation de l’Afrique avec les pays « BRICS », une troisième voie pour le développement de l’Afrique ? Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal.