Speak White
Juillet 2017
Fidèle à sa réputation d’Afrique miniature, le Cameroun présente une diversité climatique, culturelle, religieuse, ethnique et linguistique. Les huit nouveaux yaoundéen.nes que nous sommes profitent de l’accueil que propose la capitale qui rayonne en couleurs, en chaleur et en vacarme. Exactement soixante-quinze jours d’émerveillement.
Puisqu’il faut bien le mentionner, le Cameroun est une terre d’accueil qui est passée aux mains de plusieurs puissances au fil du XXe siècle ; chronologiquement, Allemagne puis Grande-Bretagne et France. Le résultat en fait notre homologue linguistique : le seul autre pays dont les deux langues officielles sont le français et l’anglais. L’adoption de ces codifications législatives ont bel et bien un but. Après tout, l’instauration du bilinguisme au plan politique ne sert pas à promouvoir le bilinguisme individuel, mais bien à assurer une protection à l’égard de ses deux langues au sein du pays. Le bilinguisme est une pratique sociale et non une pratique individuelle. La sélection des langues officielles implique donc intrinsèquement la promotion de ces langues majoritaires, favorisées par l’État au détriment d’autres langues à plus petite portée. De manière générale, l’élan de fierté de s’affirmer comme locuteur ou locutrice d’une des langues majoritaires de notre pays s’accompagne souvent d’un oubli du paysage linguistique qui se cache en arrière-plan ; j’entends par cela les langues locales. Si chez nous on parle de langues autochtones, les langues indigènes camerounaises battent leur plein qui sont au nombre de 268.
La vitalité linguistique du Cameroun abrite donc 13,4% (268/2000) des langues (estimées) du continent africain et 4,46% (268/6000) des langues (estimées) de l’ensemble du globe. Mais peut-on tout de même parler de vitalité? Comme la grande majorité des langues de tradition orale dont les domaines d’usage sont restreints, sa situation minoritaire met son avenir en danger.
Speak white. J’étais préalablement prête à avoir des troubles d’adaptation face à mon sexe, mon genre, ma couleur, ma langue, mon accent. Étonnament, c’est ma couleur qui a fait le plus parler – mais pas pour les raisons auxquelles je m’attendais. C’est comme si blanc était synonyme de Français… C’est pendant mon séjour au Cameroun que j’ai appris que le Canada avait une si bonne réputation à l’étranger. En tant que Québécoise qui étudie la linguistique et l’histoire de la langue française dans toutes ses variantes et variétés, être automatiquement associée au pays qui contrôle encore aujourd’hui à peu près tout ce qui enrichirait (ou aurait pu enrichir) le Cameroun – me pesait sur les épaules. Lorsqu’on parle de Francophonie avec un grand F, l’objet d’étude considère inclusivement toutes les variétés de français. Mais l’affirmation de notre langue passe par la vision qu’on a de celle-ci et la relation qu’on entretient avec celle-ci.
Ici on parle patois. Je me demande qui le premier a utilisé le terme patois pour désigner les langues traditionnelles du Cameroun, comme d’ailleurs. Patois est un terme péjoré qui n’a pas d’équivalent dans les autres langues. Le lien qu’entretient la langue française avec les langues coloniales est donc intrinsèquement dominant. La multitude des langues présentes sur le territoire implique que ces langues se côtoient et se hiérarchisent ; la raison même pour laquelle on parle de langue majoritaire et de langue minoritaire. Résultat? La nécessité d’une lingua franca pour faciliter la communication a peut-être favorisé la création du camfranglais.
Exemple d’expression en camfranglais : Mon binji est au piole. Il djoss quoi? Ok je kem.
L’évolution du français camerounais marque pour moi une résistance de s’affirmer comme locuteur ou locutrice. Si le camfranglais consiste en une innovation, voire une création linguistique originale (géographiquement), sa communicabilité met un grand frein à sa diffusion, malgré son poids politique.
À Yaoundé, les ethnies des dix régions sont regroupées et mélangées. Malgré la réalité bilingue anglais-français au sein du pays, le bilinguisme n’est pas vraiment une réalité individuelle ; le Cameroun est après tout devenu un pays en 1960, par l’union de la colonie française et de la colonie britannique. La distinction entre anglophone et francophone reste encore très marquée, tant au niveau territorial qu’idéologique (surtout avec les enjeux du moment). Puisqu’aucune des langues africaines ne figure comme langue officielle, elles sont définies par des caractéristiques extra linguistiques ; elles constituent des langues ne profitant d’aucun pouvoir politique, d’aucun instrument de diffusion et d’aucune normalisation. Les impacts en sont notables : pas de médias, pas de littérature écrite, pas de grammaire instituée, pas d’éducation dispensée. Les langues africaines avaient un rôle et une vitalité qui n’ont pas résisté à l’impact du colonialisme.
Une langue qui meurt entraîne la perte irrémédiable de connaissances uniques sur le plan culturel, historique et environnemental. Chaque langue témoigne à sa façon de l’expérience humaine.
Patrimoine linguistique de l’UNESCO
Magali Guilbault